Claire Chesnier
Notice de la collection du FRAC Auvergne2015Née en 1986, Claire Chesnier travaille exclusivement sur papier, dans des formats toujours verticaux ne dépassant pas deux mètres sur un mètre cinquante avec des formes s’inscrivant sur le fond blanc de la feuille en des trapèzes ou autres polygones (pentagones ou hexagones) se rétrécissant vers le bas ou vers le haut — mais jamais vers les bords droits ou gauches —, parfois légèrement arrondis dans la partie supérieure ou inférieure, formes à la découpe nette proposant une plage colorée dans un dégradé entre deux couleurs d’encre diluée — qui viennent, du coup, en former une troisième dans la zone de mixtion entre les deux — venant imprégner la pulpe du papier.
Les formats : ils sont évidemment à la mesure du corps, le comprenant entièrement horizontalement et verticalement. Le corps se confronte à l’étendue picturale autant qu’il y est absorbé. À la bonne distance, l’œil dérive à la surface, sur la surface colorée sans autre repère que cette mesure — ni trop grande, ni trop petite.
Les formes : la forme est toujours plate — la couleur n’implique aucun effet de relief ou de modelé — et tout se déroule à la surface, mais la forme elle-même, sa découpe, la limite entre le blanc et la zone colorée crée un dynamique : sensation d’élévation ou de chute, d’ouverture ou de fermeture ou de perspective « virtualisant » le papier. Le blanc est là, visible, mais il s’absente et la découpe nette — excepté dans les premières peintures — entre la zone blanche et la zone colorée accentue la sensation que ce blanc est un cadre. Tout est dans la contradiction entre l’immaculé et le maculé, le net et le vaporeux, le défini et l’indéfini — sensation renforcée depuis que l’artiste maroufle ses papiers sur un support dur.
La couleur : elle est appliquée diluée avec des brosses, couche après couche, chacune renforçant la densité et l’éclat ou les enfouissant. La peinture se construit voile après voile et la couleur n’apparaît vraiment que dans cette opération chimique de recouvrement — après séchage bien entendu. Si le processus semble hasardeux, il ne s’agit pas de peindre en aveugle, mais d’élaborer la tonalité dans et avec la matérialité picturale. La couleur se révèle aussi bien en elle-même que dans sa rencontre avec une autre tonalité et, encore une fois, dans les zones de mixtion. La question essentielle devient alors la lumière passant plus ou moins à travers les couches de l’irradiation la plus forte au modulé le plus subtil en passant par l’atone : « Mes peintures sont une affirmation de la surface et une recherche de la “profondeur de la lumière[1].” »
Peinture sans sujet, volontairement répétitive, mais supposant des variations infinies, les œuvres de Claire Chesnier sont bien abstraites : « Précisément, je pense avoir réellement commencé à peindre quand j’ai évacué la question du “quoi (peindre) ?” car la peinture ne peut être assujettie à autre qu’elle-même. La peinture que je poursuis est sans prétexte ni anecdote. Elle est présence, sujet[2]. », mais cette pure présence peut, malgré tout, évoquer des échos avec d’autres expériences — extra-picturales — ou des analogies avec le monde ou des phénomènes naturels — eux aussi pure présence — et si la question n’est pas l’analogie en elle-même — y voir, par exemple, une aube ou une aurore boréale — cette expérience de la peinture désembarrassée du sujet ne vaut que dans l’expérience enrichie qu’elle nous propose du monde et que nous faisons et ferons du monde — la peinture y compris.
[1] Claire Chesnier, « Constructing Liquid Veils: An Interview with Claire Chesnier by Matthew Hassell », New York Art Magazine, novembre 2013, repris sur le site Internet de l’artiste : http://www.clairechesnier.com/textes-texts/constructing-liquid-veils-an-interview-with-claire-chesnier-by-matthew-hassell. La traduction des propos de l’artiste est de l’auteur.
[2] « Dans l’oeil des collectionneurs : Claire Chesnier », interview par Julie Perin, Alternatif-art, juin 2015, repris sur le site Internet de l’artiste : http://www.clairechesnier.com/textes-texts/dans-loeil-des-collectionneurs-claire-chesnier-interview-par-julie-perin