Jean-Charles Vergne

Beautés

Editions FRAC Auvergne, p.222023

Ces encres dévoilent des tons insoupçonnés pour le regard patient. Elles sont des aubes, des ajours de lumière dont le spectre se plie et se déploie comme se plissent les yeux éblouis par le ciel libéré d'un nuage ou par l'embrasement à peine imaginable d'une traîne brumeuse en feu. Elles sont les reflets glauques d'eaux inertes chancelant vers l'azur, des moirages limoneux de mares baignées par la splendeur mordorée d'un soleil arythmique. Elles sont des voiles crayeux d'ondées de fin d'automne et de rosée du soir laissant poindre la ligne d'une prairie dont le vert tendre demeure à l'agonie du jour. Demeure, c'est cela : le regard est mis en demeure, convié à séjourner en hospitalité pour s’imprégner de ce qui naît depuis la boue de l'encre. Une abstraction, peut-être, mais une abstraction qui jamais ne décolle du réel, tenue par les dévoilements ondoyants et furtifs, les phosphènes picturaux, les lents bouleversements menés par les fluctuations du jour. Les peintures ont pour titre leur date d'achèvement qui est aussi leur naissance : 120221 et 170221 ont ainsi ponctué une semaine de février 2021 sous la verrière de l'atelier, par un ciel ensoleillé le premier jour, couvert le suivant. Dans un carnet sont notées les successions des tons1. Ainsi, pour 120221 : "blanc rosé pétale pâle / blanc bleui / blanc jaune vert d'eau / jaune d'or léger / rose saumoné chair / rose gris violacé / parme argenté / vert kaki grisé métallique / ocre vert ancien / ocre orangé brun / brun rougeâtre / brun pourpre / indigo sombre / noir bleu". Des nuances tramées de nuances dont l'inventaire ne peut rendre compte du corps pictural, du glissement d'une couleur à l'intérieur d'une autre, du passage insondable d’un rose gris violacé vers un parme argenté. Les mots n'ont pas de prise, tout au plus une emprise un peu vaine. Il faut vivre au jour le jour avec ces encres pour saisir leurs harmonies et les modulations de leurs stridences, l'avènement imprévu de couleurs que l'on n'avait pas vues, de l’aube au crépuscule, au gré des jours, du climat, du temps qu’il fait et du temps qui passe.

1– Ces notes à usage strictement personnel accompagnent des croquis exécutés a posteriori pour conserver la mémoire des couleurs employées.