Molly Warnock

Outside : L'art de Claire Chesnier

"Claire Chesnier", Ed. JBE Books2024


Chaque nouvelle œuvre créée dans le registre pictural que Claire Chesnier a développé commence par la préparation du support papier.  Une étendue à peu près grandeur nature, découpée dans un rouleau plus long, est fixée sur un panneau et humidifiée, une étape qui requiert le plus grand soin : en dilatant les fibres du papier, l’artiste rend la surface plus vulnérable à la pression de son toucher. Puis, elle mélange de grandes quantités de pigments, diluant une gamme d'encres de calligraphie avec de considérables quantités d'eau. Procédant intuitivement, le support à la verticale, elle applique sur le papier, l’une après l’autre, plusieurs couches de teintes très aqueuses, au moyen d’un pinceau imbibé. Le processus est immersif et physiquement éprouvant, et la réalisation d'une seule peinture peut durer plusieurs semaines. Chaque œuvre porte le titre de sa date d'achèvement - par exemple 090324 pour une peinture achevée le 9 mars 2024. Toutes les œuvres sont montées sur Dibond et encadrées avant d'être exposées.

Ces dernières années en particulier, l’effet évoque indubitablement les conventions de la peinture de paysage. Des voiles légers de couleur - souvent nacrés, bleutés ou rosés - occupent fréquemment les registres supérieurs, tandis que les tons plus sombres sont réservés aux parties inférieures. Les transitions à l'intérieur de ces zones respectives sont extraordinairement subtiles, voire infinitésimales, tandis que les surfaces liminales entre elles présentent des contrastes plus marqués, suggérant autant d’horizons. Les seuils sont parfois nivelés sur toute la largeur du tableau ; ailleurs, dans les œuvres que Claire Chesnier qualifie pour elle-même de « chevrons » - nomenclature sans doute inspirée par l'histoire plus récente du color field painting, celle de Kenneth Noland en particulier -, la région plus sombre incline vers le haut jusqu'aux bords latéraux formant un V. Dans aucun cas, cependant, la jonction n'apparaît comme une ligne clairement délimitée. Au contraire, le flux d'encre descendant charrie systématiquement de longues stries qui, à leur tour, permettent une lecture naturaliste - comme de longues herbes, par exemple, ou des arbres lointains éclairés par le soleil couchant ou le soleil levant. Ces associations sont cependant déliées en raison de la fluidité manipulatoire de l'ensemble : il n’y a pas de choses saisissables ; en fait, il n’y a pas de choses du tout.

Claire Chesnier, quant à elle, avoue volontiers son attachement à la longue tradition de représentation des paysages et d'observation atmosphérique, des études de nuages de John Constable au 19e siècle et des scènes de plages d'Eugène Boudin jusqu'aux paysages marins inventés par le peintre brésilien contemporain Lucas Arruda. Pourtant, l’origine des peintures de Claire Chesnier ne renvoie pas à une intention de représentation et elles ne peuvent pas être comprises comme de simples variations reliquaires d’un genre historique. Elles émergent plutôt de son expérience corporelle de la peinture et des possibilités spatiales, jusqu’à être productrices de lieux, de la couleur. 


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Dans les premières compositions à l'encre diluée sur papier que Claire Chesnier a exposées, réalisées entre 2010 et 2012, la couleur apparaît doublement circonscrite. D’abord, elle est confinée à une zone clairement délimitée sur le support, l'artiste ayant masqué les marges avant d’appliquer l'encre. Encloses dans l'espace blanc, les formes résistent à l’apparence de procéder du cadre de la peinture, s’éloignant de la rectitude et de la symétrie au profit de silhouettes plus idiosyncrasiques et décalées. Cette mise en forme préliminaire est à son tour prolongée et déplacée par la partition de la couleur dans les zones peintes. Ici aussi, les différentes teintes sont réparties d'une manière qui suggère une certaine volonté de respecter les bords préexistants (dans ce cas, le cadre interne formé par l’escamotage des bords) : les courbes s'opposent aux angles, les aplombs aux douces ondulations. Les limites entre les zones de couleur adjacentes sont souvent beaucoup plus nettes que dans les peintures ultérieures, et le résultat génère plusieurs associations d’images, comme des boucliers excentriques dans les grandes pièces et des yeux ou des éventails dans les plus petits formats.

Au cours de l'année 2012, une grande partie de ce schéma interne disparaît au profit de voiles invariablement verticaux, comme si la couleur radieuse de Claire Chesnier dissolvait ses propres limites de l’intérieur. Elle continue néanmoins à masquer des supports de manière sélective, un geste qu’elle qualifie aujourd'hui d’« autoritaire » - une imposition de limites en contradiction flagrante avec la fluidité inhérente à son médium. Cette tension est partie intégrante de l’ensemble le plus conséquent de peintures de Claire Chesnier avec des zones mises en forme qu’elle désigne informellement comme des « lames ». Réalisées entre 2013 et 2016, en petits et grands formats, ces œuvres se caractérisent par des formes intensément saturées et intérieurement bigarrées qui semblent simultanément se découper de, en même temps que découper dynamiquement leur fond blanc immaculé. Les formes ne se répètent jamais exactement d’une œuvre à l’autre, mais sont plutôt étirées ou atténuées, rapprochées du cadrage ou éloignées de celles-ci à nouveau. La longévité même de cet ensemble de peintures suggère l’attachement profond de Claire Chesnier à cette minutie préparatoire, dont les effets formels oscillent, paradoxalement, entre la gravure quasi-sculpturale et quelque chose qui s’apparente à un recadrage photographique.

Par contraste, les œuvres que Claire Chesnier a commencé à réaliser en 2016 donnent libre cours à la fluidité. La couleur cesse d’être confinée à une zone circonscrite du papier et occupe au contraire la totalité de la surface, interrompue uniquement par les bords de l’encadrement. Ou pour formuler ce point différemment : la mise en forme se limite à la détermination inaugurale des dimensions de l'œuvre. Cette décision reste résiduellement « subjective ». Contrairement à d'autres artistes qu'elle admire, comme Agnès Martin ou Ad Reinhardt, Claire Chesnier n’a pas de format standard, mais modifie subtilement au moins une variable – la hauteur ou la largeur – d’une œuvre à l’autre. Tout comme elle avait précédemment ajusté les formes discrètes à l’intérieur des champs, ne répétant jamais précisément une silhouette donnée, elle conçoit chaque peinture comme une entité physique spécifique. Pourtant, cette mise en forme est résolument minimale, presque conventionnelle et effacée, contrairement au masquage précédent. Autre changement important : à partir de ce moment, les peintures sont de taille réelle : initialement comparables aux grandes lames, qui mesuraient tendanciellement entre 140 et 155 centimètres de haut et environ 135 centimètres de large, elles ont progressivement gagné en hauteur au fil des ans, et sont désormais susceptibles de mesurer entre 165 et 175 centimètres le long de l’axe vertical.

À l’intérieur de ces champs nouvellement immersifs, la disposition paysagère émerge progressivement. On perçoit un éclairement, d’abord principalement dans les parties les plus hautes des tableaux, puis rampant tendanciellement vers le bas. Les régions inférieures s’assombrissent comme en réponse. Cet assombrissement est aussi, de plus en plus, une prise d’ancrage ou de poids, une perception encore renforcée par les traînées sédimentées de l’encre qui s’écoule vers le bas. Ces peintures sont visiblement tirées par la gravité, tout au long de leur réalisation comme lors de leur accrochage. Les voiles de couleur, quant à eux, s’étendent sur la surface en réseaux latéraux de plus en plus réguliers, presque identiques – mais jamais tout à fait – à gauche et à droite. 

Et précisément on pourrait considérer que ces mêmes traits récurrents peuvent être vus à tout le moins comme étroitement corrélés au corps humain debout : à sa symétrie bilatérale, à sa tête, à sa main, à sa verticalité, à son ancrage. L’horizon, de ce point de vue, fonctionne moins comme un dispositif de représentation que comme indicatif de l’orientation et de l’équilibre du corps, plaçant le spectateur dans un droit face à face avec l’œuvre. Soulignant davantage leur enracinement dans l’expérience corporelle, ces peintures révèlent des asymétries légères mais significatives. La zone inférieure, plus sombre, s’élève souvent légèrement dans la direction de l’un ou l’autre bord latéral, le plus souvent celui de droite – un effet récurrent dans tous les seuils, mais peut-être plus apparent dans les chevrons. Cette tendance rappelle la différence vécue entre nos membres droit et gauche et, plus particulièrement, entre notre main dominante et l’autre. Loin d’offrir des vues sur un monde indifféremment étalé devant nous, les peintures de Claire Chesnier suggèrent l'intrication primordiale du corps et du lieu. Ou peut-être : elles reconfigurent l'incarnation comme espace - ouverture et extension.


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La co-émergence ou, selon sa formule, la « comparution » du corps et du lieu est un thème central dans les écrits de Jean-Luc Nancy. Le texte clé est Corpus, une référence explicite pour Claire Chesnier. Repensant de manière approfondie le corps, héritant en partie de la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty, Corpus nous invite à nous confronter à nouveau à la conception cartésienne de la res extensa. Selon Nancy, le corps n'est pas indifféremment disposé dans l'espace, car il n'y a pas d'espace homogène et infini ; bien plutôt, il n'y a que les espaces, c’est-à-dire de fait les lieux que les corps font naître : « Les corps ne sont pas du « plein », de l’espace rempli (l’espace est partout rempli) : ils sont l’espace ouvert, c’est-à-dire en un sens l’espace proprement spacieux plutôt que spatial, ou ce qu’on peut encore nommer le lieu. Les corps sont des lieux d’existence, et il n’y a pas d’existence sans , sans un « ici », « voici », pour le ceci. »

La manière dont Nancy rend compte de l'affirmation cartésienne « ego sum, ego existo », c'est-à-dire de la déclaration d'existence, est d’un intérêt particulier ici. Nancy conçoit cette affirmation comme une rupture ou une percée. Cependant, il souligne aussi la finitude de l'énonciation, sa contingence par rapport à des circonstances particulières. L’ego est à la fois localisé et tiré au-delà de lui-même – « « ego » qui n’est « ego » qu’articulé, s'articulant comme l’espacement, la flexion, voire l'inflexion d'un lieu ». C'est précisément pour cette raison, suggère-t-il, qu'une telle profération est nécessairement itérative, voire interminable : « Tous les lieux se valent pour pro-férer « ego » (pour se le pousser hors du soi, afin qu'il ait « soi ») mais seulement en tant que lieux. (...) Je suis, chaque fois que je suis, la flexion d'un lieu, le pli ou le jeu par où ça (se) pro-fère. » Nous n’avons pas affaire ici à un ego « dans » un corps, mais à l'être nécessairement incarné de l'ego : ce que Nancy appelle le « corpus ego ». 

L'affirmation de Nancy selon laquelle une telle articulation a « lieu sans cesse, à toutes les fois, à tout espace de temps de l’exister » offre une manière de penser ensemble la simultanéité de la particularité des peintures de Claire Chesnier et l’enchaînement entre les pièces, que nous sommes peut-être plus habitués à décrire en termes d’élan sériel de la peinture depuis l'Impressionnisme. Leur titre ressemble à la datation d'un journal intime, mais les œuvres elles-mêmes sont résolument dépourvues d'anecdotes autobiographiques – et de fait, les marques picturales conventionnelles de présence autoriale (coup de pinceau emphatique, empâtement, repentir...) sont absentes. Certaines œuvres produites en succession rapide suggèrent des séquences quasi cinématographiques : par exemple, un groupe d'œuvres produites entre la fin janvier et le début février 2022 (280122, 020222, 040222, et 060222) évoquant un panoramique progressif sur un terrain en pente douce mais essentiellement indéfini, sinon désolé (« tout lieu est également effectif... »). Malgré cela, chaque tableau de ce groupe se détache clairement des autres. D'une œuvre à l'autre, des variations de tons minimales au sein d'une palette largement partagée et relativement sobre, produisent autant de distinctions dans leur climat interne - des différences perçues, pour ainsi dire, d'humidité, de pression ou de température, moins vues que ressenties. Ailleurs, en revanche, le décalage entre des tableaux chronologiquement consécutifs est d’emblée frappant. Prenons les tableaux 010922 et 020922, réalisés respectivement le premier et le 2 septembre 2022. Le premier tableau va de la vive chartreuse dans le registre supérieur au violet profond dans le registre inférieur ; le second, du vermillon saturé au vert viridian contenu. Le changement affectif est total, même si les deux œuvres sont clairement liées par leurs horizons inhabituellement bas. Il s'agit là d'une autre forme de continuité dans la différence.

Dans les peintures de Claire Chesnier, l'articulation est entièrement une affaire de couleur, dans sa singularité sans fond et sa pluralité inhérente. L'artiste a parlé de « charge haptique » là où les couleurs se touchent, et ce contact se fait à une autre limite, celle du support lui-même. La couleur, ici - et ici, et ici, et là... – ne se constitue plus, elle se livre dans l'espacement, dans le pliage ou à la flexion propre à un lieu. De manière remarquable, dans ses carnets personnels, l'artiste approfondit cette jonction en tentant de nommer les nouvelles teintes qui émergent du processus de peinture - une reformulation théoriquement interminable.


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Pour de nombreux lecteurs, cette présentation du travail et de la pensée de Claire Chesnier aura déjà évoqué le mouvement Supports/Surfaces, renvoyant au volatile et changeant collectif de peintres - Louis Cane, Daniel Dezeuze, Marc Devade et Claude Viallat, entre autres - actif en France à la fin des années 1960 et dans les années 1970. Dans le travail de Claire Chesnier, comme dans le leur, on discerne une relation visuelle claire avec certains aspects de l'abstraction américaine d'après la Seconde Guerre mondiale - en particulier, dans le cas de Claire Chesnier, les blocs de couleur s’amoncelant verticalement de Mark Rothko, les voiles déversés de Morris Louis, les peintures à rayures et à chevrons de Kenneth Noland et les champs vaporisés de Jules Olitski. Elle aussi comprend que la couleur est inextricablement liée à des questions plus larges sur la subjectivité et le corps - des questions dont les peintres de Supports/Surfaces et leurs champions critiques ont affirmé qu'elles avaient été effectivement bannies de l'orientation plus « positiviste » du modernisme américain avancé. Son adoption de la pensée de Nancy prolonge cette filiation : les écrivains du milieu Supports/Surfaces ont parfois renvoyé explicitement aux premiers travaux de Jacques Derrida, interlocuteur et collaborateur de Nancy, et notamment à son affirmation selon laquelle « le chromatique ... est à l'origine de l'art ce que l'écriture est à la parole », c'est-à-dire que la couleur est une affaire d'espacement. Cette conception, nous l'avons vu, est au cœur de l'entreprise de Claire Chesnier.  

Je voudrais néanmoins terminer en examinant quelques peintures qui nous ramènent à la spécificité de la pratique de Claire Chesnier. À partir de 2016, coïncidant avec l'abandon du masquage, elle a occasionnellement exposé des œuvres créées et titrées de la même manière que ses peintures bord à bord, mais qui – étape supplémentaire – ont été déplacées de quatre-vingt-dix degrés et exposées à l'horizontale. Dans certaines galeries, l'artiste a installé ces œuvres sur des piédestaux surélevés de 60 centimètres du sol, perpendiculairement aux peintures accrochées au mur, le long de la même ligne de mire. L'effet, tel qu'il ressort des photographies de l'installation, ressemble à un pliage coloré en trois dimensions, la peinture horizontale constituant en quelque sorte une piste pour le regard.

Cependant, les peintures couchées se caractérisent aussi par des connotations particulières. Marquées de manière indélébile par les traces de leur origine verticale, elles inversent la trajectoire de l'horizontale à la verticale si souvent adoptée en peinture depuis Jackson Pollock ou, plus près de Supports/Surfaces, par Simon Hantaï, dont les abstractions célèbres étaient produites au sol et retournées au mur. Les peintures de Claire Chesnier, en revanche, se signalent comme déposées - et elle les décrit d'ailleurs de manière informelle comme des gisants, en référence à la tradition sculpturale de l'effigie sépulcrale. Mais ces corps restent intégralement singuliers, c'est-à-dire singulièrement espacés, dans ce que nous sommes invités à imaginer comme l'extension horizontale de l'ici-gît. Approfondissant la jonction se réalisant sur les murs, ils ne sont que d'autres lieux – d'autres proférations – de l'être fini.


Molly Warnock
Traduit de l'américain par Mériam Korichi




Notes :

1. Les deux groupes distincts de toiles de plus petits formats, datant de 2013 à 2016, semblent avoir joué un rôle particulièrement important dans la préparation de ces voiles bord à bord : dans ces deux ensembles, les formes à la semblance de lames sont presque plus rectilignes et plus adaptées aux cadrages des bords, bien qu’elles demeurent activées par d’abruptes marges blanches de diverses largeurs.

2. Il est révélateur que, depuis son passage aux voiles de couleur bord à bord, les formats de Claire Chesnier se distinguent par le médium. Auparavant, l'artiste avait réalisé des peintures à l'encre sur papier dans une gamme de dimensions variables, depuis le très petit (formats qu'elle décrirait comme étant à l'échelle du visage) jusqu'au format presque grandeur nature (c'est-à-dire à l'échelle du corps). À la suite de l'abandon du masquage, en revanche, les encres sont déployées exclusivement sur des papiers de grand format, tandis que les tailles plus petites sont réservées aux monotypes à l'encre lithographique ou, plus récemment, aux crayons de couleur. Ce n’est pas un hasard si les effets d’entêtement et de doigté que je décris ci-dessous comme définissant les grandes encres sur papier ont tendance à être atténués dans les œuvres réalisées sur de plus petits supports, qui résultent d’une relation corporelle différente avec leur créatrice.

3. Plus précisément, cet aspect ré-apparaît, car les zones peintes en autant de lames s'inscrivent également comme des paysages, suggérant des vues à travers différentes ouvertures. Mais cette résonance semble momentanément brouillée par le saut qualitatif vers les œuvres bord à bord, mais ce passage lui fait gagner une puissance renouvelée – du moins c’est ce que je souhaite suggérer.

4. Ce vocabulaire de « tête » et de « main » occupe une place centrale dans ma relation des effets connexes dans les peintures abstraites de James Bishop, un artiste que Chesnier admire ; voir mon article « Field Agent : The Art of James Bishop », Artforum 52 : 5 (janvier 2014) : 184-89, 234. Mon propos ici est également redevable à « Orientation in Painting : Caspar David Friedrich » de Michael Fried, idem. , Another Light : Jacques-Louis David à Thomas Demand, New Haven et Londres : Yale University Press, 2014, pp. 111-49.

5. De manière connexe, voir l’analyse de Briony Fer de ce qu’elle caractérise comme la « suture » ou la « charnière » entre les registres supérieurs et inférieurs des peintures noires-et-grises de Mark Rothko : « Seing in the dark », in Rothko : The Lates Series, Tate Modern, Londres, 2008, en particulier pp. 42-43.

6. Jean-Luc Nancy, Corpus, Métaillé Sciences humaines, 2000, p. 16.

7. Ibid., pp. 25-26.

8. Ibid., p. 26.

9. Ibid., p. 25.

10. Ibid., p. 25.  Claire Chesnier, de manière remarquable, ne considère pas son travail comme sériel, préférant parler de « familles » de peintures au sein de son œuvre (conversation avec l’autrice, mars 2024).

11. Dans une interview, Claire Chesnier déclare que ses œuvres sont inévitablement imprégnées par le temps propre du moment et du lieu de leur création (ou comme Nancy pourrait le dire, les conditions fugaces de l’ego sum, ego existo) : « Ma peinture est très étroitement liée à certaines qualités de température, de climat, de couleur… La relation est presque impressionniste… Mais c’est une connexion faite après coup » — une chose, pourrait-on dire, plus proche de l’infiltration que de l’intention consciente (Thomas Lévy-Lasne, « Les Apparences, épisode 19 : Claire Chesnier », YouTube, Octobre 2021). Cette caractérisation ne se situe pas clairement d’un côté ou de l’autre de la dualité abstraction/figuration telle qu’on l’entend traditionnellement, et de fait, Chesnier ne s’intéresse guère à cette distinction, déclarant son rapport à ces catégories « très, très fluide » (conversation avec l’autrice, juillet 2024).

12.  Pour un compte-rendu détaillé de cette réception, voir mon article « Tel Quel and the Subject of American Painting : Marcelin Pleynet et James Bishop », Tate Papers 32 (Tate.org.uk, décembre 2019)

13. « La chromatique, (…) est à l’origine de l’art ce que l’écriture est à la parole ». Cette citation, tirée de De la grammatologie (1967) de Derrida, sert comme une épigraphe, parmi plusieurs, à Marc Devade, « D’une peinture chromatique. Théorème écrit à travers la peinture «  (1970), réimprimé in Camille Saint-Jacques, ed., Marc Devade. Écrits théoriques, Lettres Modernes, Paris, 1989, pp. 31-51. 

14. Une exception à cette disposition spatiale, étaient les œuvres placées horizontalement bien plus près du sol, que Chesniers a inclus dans sa contribution à « L’art dans les chapelles » en 2019 à la Chapelle de la Trinité à Castennec dans la commune de Bieuzy.  

15. J'emprunte cette dernière phrase à Nancy, qui écrit « Il faudrait un corpus : une écriture des morts qui n’ait rien à faire avec le discours de la Mort – et tout à faire avec ceci, que l’espace des corps ne connaît pas la Mort (le fantasme de l’espace aboli), mais connaît chaque corps comme un mort, comme ce mort qui nous partage l’étendue de son ci-gît. » (Corpus, 49). Et justement ici, une autre référence apparaît : le RP3 d'Yves Klein, « Ci-gît l'Espace » de 1960, dont les photographies indiquent qu'il l'a affiché sur un mur de son atelier mais qu'il a exposé publiquement dans une position horizontale. La relation entre l’art de Chesnier et celui de Klein est un sujet vaste et riche qui je ne peux pas développer ici ; il suffit de dire que Klein imagine la couleur – plus précisément la monochromie intensément saturée – comme précisément une étape vers l’espace infini et immatériel que Nancy disloque en faveur de lieux discontinus et hétérogènes.